Le jeune homme en côte bleue assis sur son lit laçait ses souliers. Sa large dentition immaculée s’illumina quand sa femme s’approcha en tenant leur fils dans ses bras. Le petit de trois ans arborait une chevelure dorée qui tombait sur ses épaules. Il n’avait pas besoin d’être en âge de jouer la comédie pour exprimer le plaisir qu’il éprouvait à rejoindre son papa gâteau.
Avec sa gouaille habituelle, ce dernier saisit son enfant et s’amusa à le faire voler comme un avion. Après une réplique échangée avec la maman, le réalisateur cria : « Coupez !».
L’acteur le plus prometteur de sa génération, se redressa et donna un bisou au garçonnet avant de s’en débarrasser auprès de la première maquilleuse qui passait. Papa à la vie comme la scène, il vivait un des plus longs moments en compagnie de son propre fils.
Guillaume, adolescent aux cheveux qui cachaient ses yeux, déambulait d’un équilibre fragile sur les trottoirs de Paris. Il replongeait dans son enfance où l’on raillait son paternel, ce rustre et voyou devenu incontournable du cinéma français. Même après avoir joué le figurant sur les terres de Marcel Pagnol en sa compagnie, le jeune homme n’avait pas trouvé la gloire auprès de son père.
Le cerveau embrumé, le nez encombré par la poudre qui décorait encore ses narines, il slalomait, évita une crotte de chien et s’arrêta contre une poubelle. Il commença à se soulager quand une patrouille de la BAC approcha. Après avoir quitté la Clio, le chauffeur au bonnet de docker s’adressa à lui avec ironie.
— Ça va, on ne vous dérange ?
Le fils de star se tourna, laissant nonchalamment son robinet dépasser de sa braguette et s’exprima, à la manière de son père, grandiloquent, avec le sourire jusqu’aux oreilles :
— Un peu, certes. Ne vous déplaise que je terminasse, messieurs les agents ?
— Il se fout de notre gueule en plus ce dégueulasse ! s’offusqua le collègue au look de skinhead.
Bousculé et placé face au mur, le malotru mouillait son pantalon tout en proférant des menaces et des insultes. En deux temps, trois mouvements, le délinquant se retrouva menotté le zizi à l’air, et embarqué manu militari.
Le fameux comédien buvait un verre de « rouge » dans l’avion quand il avait découvert le détail de l’affaire dans Voici. Son fils l’attendait dans le salon. Le parquet massif craquait sous les pieds de l’ancien blouson noir. Le coupable, la tête baissée, assis devant la table à manger, semblait supporter le monde sur ses frêles épaules. Peut-être aussi le poids du monstre du grand écran qui se tenait devant lui, avec un regard teinté de mépris et d’incompréhension.
Les remontrances du patriarche remuaient l’argenterie rangée dans le vaisselier. Plutôt que d’essayer de comprendre l’être qu’il avait engendré et ignoré, il s’énervait. Sa progéniture serrait les dents, aussi fort que ses poings. Aucun son ne parvenait à sortir de sa bouche. Tel Cyrano de Bergerac, le géniteur clôtura son monologue par une cinglante tirade : « La drogue, c’est vraiment de la merde, ça ne peut concerner que des sous-hommes ! ».
Le fiston, qui avait vu son père dans des états minables, ne retint plus sa colère. Il se jeta sur Obélix, qui d’une seule gifle, l’envoya valdinguer. Le vaillant Astérix se releva et balança sur la grosse bedaine de son adversaire une chaise en bois. Il ne fit que provoquer le rire gras et sarcastique de son aïeul, à peine couverts par les pleures de la mère spectatrice et silencieuse. L’aîné de leurs enfants devint fou et attrapa l’ouvre lettre qui traînait là. Il le brandit en direction du cynique moqueur, mais heureusement, la maman parvint à s’interposer.
Après cet épisode, la rupture était consommée entre les deux. Le plus jeune, arrêté en possession de trois grammes de cocaïne, écopa de trois ans de prison ferme. Même dans l’enceinte du tribunal, l’ombre de son père avait plané au vu de la sévérité de la peine.
À vingt-quatre ans, les frasques de Guillaume épaississaient son casier judiciaire. Elles s’entrecoupaient de quelques participations à des films qui paraissaient le ramener à la vie. Son nom prestigieux pesait encore sur sa personne, mais la profession évoquait son prénom, comme celui d’un futur prodige.
Sur sa moto, il roulait à la sortie du Parc de Saint-Cloud. Un Poids lourd risqua de l’envoyer dans le décor. Agacé, il accéléra et fit gronder son engin. Il s’engagea dans le tunnel où, devant lui, un vacancier avait chargé sa voiture comme s’il partait au bled. Guigui avançait sagement derrière le véhicule quand une valise s’échappa du toit. Le projectile ne laissa pas le temps au pilote de réagir et percuta la fourche du deux-roues. Son conducteur s’éjecta sur le bas-côté, où les roues des camions passèrent à dix centimètres de son visage.
Après huit années, dix-sept opérations, un staphylocoque doré contracté au cours d’une de celles-ci, le patient se réveillait difficilement, allongé sur son lit d’hôpital. Des oiseaux gazouillaient et le soleil réchauffait les murs blancs de sa chambre. Guillaume recouvrait ses esprits après l’anesthésie générale qu’il avait subie. Il sentit sa cuisse le gratter et porta son attention à sa jambe. Il prit conscience que la démangeaison était imaginaire, maintenant qu’il se voyait amputé d’un membre.
Douze printemps s’étaient écoulés depuis son sacre du « meilleur espoir masculin » à la cérémonie des César. À trente-sept, il tournait un film en Roumanie quand une pneumonie foudroyante l’attaqua. On le rapatria en urgence dans l’hôpital qui lui avait posé la prothèse qu’il cachait sous son survêtement.
Quatre jours plus tard, son illustre père, légende du cinéma, enterrait son garçon au passé douloureux et à l’âme sensible.
Mathieu Capdegelle – Janvier 2024
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