Le pays des rêves

Quand mes neurones appuient sur pause et que mes yeux se ferment, je ne me contente pas d’une simple visite dans le pays des rêves, je m’égare dans des multivers.

J’y affronte mes peurs les plus terribles ou j’y comble toutes mes espérances. J’y pleure, j’y ris, j’y souffre, j’y vis, j’y meurs, mais j’y règne en maître. J’y règle mes comptes avec les mauvais, ou je passe à la caisse pour mes méfaits. J’y fais l’amour avec des inconnues, qui me murmurent que j’ai trouvé la paix avec moi-même. J’y croise des gens connus dans d’autres temps, et y trouve des personnes aimées ou détestées. Elles prononcent des paroles inintelligibles qui font transpirer mon âme.

Même dans ces univers, le destin joue avec mes nerfs. Si dans le réel je trouve toujours un îlot de bonheur, là-bas, tout se brouille. La tristesse se mue en allégresse, le bon prédit le mauvais, la poisse annonce la chance. J’y vois des signes, qu’à la lumière du jour non plus, je ne sais pas interpréter.

Ma raison peu active sous le soleil s’endort avec la lune, laissant ainsi libre cours à mon cœur et à son imagination. Il m’emporte au point de me pousser à marcher pour vivre mes aventures nocturnes à l’insu de mon plein gré. Avec Morphée, le degré d’effort spirituel est si intense, que mes draps s’en souviennent encore. En pleine agitation ou en phase réparatrice, je peux baragouiner, parler fort, crier d’angoisse ou rire à gorge déployée. Je perçois même ma voix chuchoter quand je m’évade pour une microsieste.

Plongé dans le coma pour cinq minutes ou sept heures, je vole dans les airs à pas de géant. Je parcours le ciel en battant des bras. Je chute de dix mille pieds avant de rebondir sur les jets de fontaines immenses. Je n’y souffre plus de vertige, tandis que la phobie de m’enfermer dans une boîte persiste.

Dans des moments sombres, il m’arrive d’y ressentir cette sensation ignoble d’avaler mes dents. Elle n’est rien comparée à celle de manger du verre, annonce d’une transformation dans la vie du rêveur. Mon existence dissolue me pousse à ne pas porter attention à ce genre d’interprétations.

Au sortir de ma petite enfance, alors que Papa tombait sous le charme d’une jolie brune, des sorcières m’y poursuivaient. Hypersensible, sans le savoir, je voyais déjà des choses invisibles à cœur nu.

On ne peut pas dire que mes péripéties en Léthargie m’effraient comme à mes dix ans, les malheurs qui m’y frappent ne sont jamais pires que ceux que j’ai subis les yeux ouverts. Par bonheur, ce monde ressemble à Hollywood, ce n’est que du cinéma.

Ce sont parfois des épreuves douloureuses qui m’y attendent. Elles laissent un goût amer au retour à la réalité. Comme pour Elle, qui après ces nombreuses années, hantait encore mes nuits. Pour me punir, Elle m’y répétait inlassablement qu’elle ne m’aimait plus. Assurément, si les belles rencontres ont rendez-vous sous les étoiles, au lever du soleil, mon humeur jubile. Si au contraire, on me fait du mal, elle chafouine pour la journée.

Quelquefois, je perds conscience de mes voyages endormis, surtout à cause des vapeurs cannabinacées qui embrument ma mémoire. Un des pires effets de cet artifice illicite qui se targue d’imiter les effets des somnifères.

Je déteste me réveiller amnésique et plains ceux à qui ce pays demeure fermé.

Mathieu Capdegelle – Décembre 2023

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