Dualité féminine

Petite princesse sauvage et espiègle, j’ai senti très tôt que ce que je voyais dans le reflet du miroir ne reflétait pas l’image que les autres avaient de moi. Sensible et simple, j’ai dû jouer les précieuses, fortes et sophistiquées. Atypique, je me suis noyé dans la masse. Pour me plier à la raison ambiante, je suis allé à l’encontre de mon cœur. Pour que l’on m’adoube, j’ai étouffé les arômes de mon âme et exhalé un visage dénué de saveur.

On a réussi à me faire détester ma fragilité et mes défauts. Par la même occasion, à m’empêcher de tomber amoureuse de la monarque qui sommeille en moi. J’ai cru aimer ce que je montrais, j’ai réalisé que j’aimais ce qu’on voulait que je sois.

On ne s’émerveille pas devant une gravure de mode, mais devant une toile de maître. Je ne peux pas briller avec ce physique, certes avantageux, mais si fade. Seul le véritable moi, empli de ses imperfections et de ses blessures, peut faire rayonner mon aura. Mais pour cela, aurait-il fallu que l’on me vénère telle que je suis…

Pour plaire au prince charmant, on m’a conseillé de présenter mes plus beaux atours de princesse, d’être belle et de me taire en somme. On est plutôt parvenus à m’en dégouter et à ne plus avoir foi en lui. Au final, je désespère de sentir son doux baiser me sortir de ma torpeur.

Face à mes aspérités trop rebelles, je me suis contrainte à la douleur pour rentrer dans le moule. Le gentil prince également a souffert. En contrepartie, on le glorifie de briser ses chaînes. À l’inverse de lui, je n’ai pas le droit à l’erreur. Si je fléchis, on me renvoie à la pseudo-faiblesse de mon sexe.

Moi, dont les émotions font le grand-huit à longueur de journée, je rêvais d’aventure au cœur d’une forêt amazonienne, mais on m’a engluée dans le train-train quotidien des couloirs du métro. On m’a opposé sécurité à fantaisie. J’ai besoin des deux… en plus de l’amour…

Intelligente par nature, hélas étriquée dans ce conte de fée général, je me sens inutile et pense que seuls les bouffons sont heureux. Si, en revanche, j’ai le malheur de sortir du rang par le haut, on me jalouse, on me dénigre. De plus, si j’attire le regard des princes, on me suspecte de me coucher sur un canapé pour devenir reine.

Je suis multi-femme : femme active, femme d’une vie, femme d’une nuit, maîtresse, amante, maman, grand-maman. Comme si ces couronnes ne suffisaient pas, j’occupe le siège de gardienne de mon univers à l’équilibre bancal. Avec l’époque, je dois même posséder des épaules solides, alors que j’aspire à en trouver une sur laquelle poser ma joue. Dans ce royaume, je ne sais vraiment plus quelle figure arborer.

On ne sublime principalement que ma qualité de femme, jolie ou pas, objet de désir ou non. On préfère ne pas encenser ce que je suis et ce que j’accomplis, du chocolat chaud que je prépare à mon enfant, jusqu’aux vaccins que je découvre, en passant par les combats que je remporte. Bien que la « gloire » soit un mot féminin, on l’accorde davantage au genre masculin. Injuste réalité…

Manifestement, cette face pure que j’affiche flétrie ce côté haut en couleur et en relief que je cache. Au tournant de mon existence, j’ose recouvrer cette image perdue dans le reflet du miroir. Enfin, je vais retrouver qui je suis et peut-être, trouver la paix avec la princesse déchue qui se cloître dans mon intérieur.

Mathieu Capdegelle – Novembre 2023

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